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Interview / R.-O. Maistre (CSA) : « Trouver des pistes pour redonner de l’oxygène au secteur »

Paris - Publié le mercredi 1 avril 2020 à 20 h 50 - n° 280039

Le CSA est loin d’avoir ralenti son activité avec le confinement. Le collège du régulateur de l’audiovisuel a même tenu trois séances plénières cette semaine. Très sollicité par les diffuseurs pour autoriser des adaptations de leur programmation, le CSA assure répondre aux demandes avec souplesse. Il interroge les acteurs du secteur sur les difficultés rencontrées pour mieux préparer « l’après ».

Satellifax : Comment fonctionne le CSA en ce moment ? 
Roch-Olivier Maistre : Tout le collège et les équipes sont en télétravail. A part quelques courriers qui peuvent exiger un passage à nos bureaux, plus personne n’est présent dans la tour Mirabeau.
A partir du premier discours du président de la République, le 12 mars, nous avions anticipé et mis, pour d’évidentes raisons de sécurité des collaborateurs, tout le monde en télétravail. Les plénières se tiennent normalement via visioconférence. Nous avons mis en place une cellule de crise et éditons un outil de communication interne, avec des témoignages de chaque service, sur lequel chacun dit ce qu’il fait et où j’ai pu poster un message vidéo à l’ensemble des équipes. La maison est en ordre de marche.

Q : Paradoxalement, alors que l’activité générale est ralentie, vous devez faire face à un surcroît de travail ? 
ROM  : De fait, cette semaine, nous avons déjà dû tenir trois plénières, lundi, mardi et mercredi. Lundi, nous avons dû reporter trois procédures en cours : la nomination à la présidence de France Télévisions, l’appel à candidatures pour la fréquence occupée par Canal+, et celui pour un service de radio sur le territoire métropolitain en DAB+ (Satellifax du 30 mars).
Les diffuseurs se tournent vers nous pour nous faire part de leur volonté d’ajuster leurs programmes, exprimer leurs difficultés et préoccupations.

Q : Quelle est votre doctrine face à ces demandes ?
ROM : Dès le 19 mars, j’ai dit que le CSA était à l’écoute, bienveillant mais qu’il serait attentif au respect des grands principes. Nous avons pris acte que les chaînes locales BFM Lille et Grand Large diffuseraient, au cours de la première semaine, le programme de BFM TV, du fait de la réduction de leurs équipes.
Idem pour France 2 qui avait dû interrompre Télématin, à cause de malades dans l’équipe et le remplacer par le programme de franceinfo. Cette double diffusion va se poursuivre par souci compréhensible de mutualisation d’équipes resserrées.
En revanche, nous avons demandé au groupe TF1 de ne pas reprendre LCI dans la matinale de TF1, qui ne programme pas d’information habituellement, mais pris acte de la mutualisation des rédactions des deux chaînes pour les journaux de 13h et 20h.

Q : Vous avez autorisé France Télévisions à diffuser des films de patrimoine en journée. Quelle est la position du CSA sur les jours interdits pour la diffusion des films en télévision ?
ROM : La souplesse dont nous avons fait preuve sur les films ne fait qu’anticiper la suppression des jours interdits. Début mars, nous avons rendu un avis favorable sur le décret qui va les supprimer, en ne gardant que quelques limitations le samedi (Satellifax du 19 février). Cette réglementation était devenue obsolète quand les plateformes numériques peuvent diffuser des films à la demande à tout moment. [Après la publication de l’avis du CSA, le décret devait passer en Conseil d’Etat pour être publié en avril, avait indiqué le ministre de la Culture, Franck Riester, le 13 février dernier, ndlr.]

Q : Le groupe Canal+ ne vous a pas consulté sur le passage en clair de ses chaînes du 16 au 31 mars. Vous ne l’avez pas sanctionné en dépit des remous que cette opération a soulevés. Pourquoi ?
ROM : Le collège du CSA a rappelé au groupe, dès le lendemain de son annonce, les procédures à suivre et l’importance du maintien des grands équilibres. Nous avons joué notre rôle.
Mais l’opération était lancée et nous n’avons pas voulu l’interrompre. Les Français ne l’auraient pas compris alors qu’ils sont confinés chez eux.

Q : Avez-vous d’autres urgences à régler ?
ROM : Non, mais nous devons rester attentifs à certains sujets comme le respect du pluralisme, dans une période où la parole de l’exécutif occupe une place importante.
Par ailleurs, nous poursuivons les travaux en cours comme la préparation d’un rapport sur les plateformes et la manipulation de l’information qui devrait intervenir avant le 14 juillet.

Q : On n’a plus de visibilité sur le calendrier de l’adoption du projet de loi sur la communication audiovisuelle dont dépend la régulation à venir. C’est grave ?
ROM : L’une des évolutions prévues dans le projet de loi est la transposition de la directive SMA, qui selon la règle européenne doit intervenir avant septembre 2020. C’est très important pour le secteur, et nous souhaitons que le texte vienne au Parlement au plus vite.

Q : Dans cette période, France 4 montre toute son utilité, en diffusant des programmes scolaires notamment. Faut-il revenir sur sa suppression ?
ROM : La décision appartient à l’Etat actionnaire. Nous avons fait part de notre sentiment sur l’importance de conserver une diffusion linéaire pour les programmes jeunesse [dans l’avis du 5 février sur la modification du cahier des charges de France Télévisions, ndlr - Satellifax du 7 février].
On constate néanmoins que l’offre du service public est remarquable avec les plateformes numériques de France Télévisions, Lumni pour l’aspect éducatif, et Okoo, pour l’offre enfants. 

Q : Face aux problèmes économiques que vont rencontrer les acteurs du secteur, quelles sont vos suggestions ?
ROM : Nous avons entamé un dialogue avec les chaînes et les radios. Elles nous font part de grosses difficultés du fait de l’effondrement de leurs recettes publicitaires. Nous réfléchissons à des mesures d’accompagnement pour la relance et échangeons à ce sujet avec le ministère de la Culture.
Pour les radios locales, on pourrait envisager un concours exceptionnel du fonds de soutien à l’expression radiophonique (Fser).

Q : Peut-on envisager, après la période de confinement ou à la rentrée, des assouplissements temporaires de la réglementation, en matière de durée de publicité, de nombre de coupures ?
ROM : L’idée d’augmenter un peu la durée maximale de 12 minutes de publicité par heure en télévision est intéressante. C’est une piste qui mérite d’être prise en considération. Davantage que l’idée d’ajouter des coupures dans la diffusion des œuvres qui nécessiterait des discussions plus larges avec les ayants droit.

Par ailleurs, nous rendrons d’ici à la fin du mois notre avis sur les décrets publicité qui prévoient notamment d’autoriser la publicité à la TV pour les films de cinéma et la publicité segmentée. Ces assouplissements donneront un peu d’oxygène au secteur.

Q : Quid d’une diminution des obligations d’investissement des diffuseurs dans la production par exemple ? 
ROM : Le CSA appréciera le respect des obligations d’investissement dans la production, pour l’année 2020 en fonction de la durée et de l’étendue de la crise. Et en faisant preuve de souplesse et de pragmatisme.

Propos recueillis par Isabelle Repiton

Roch-Olivier Maistre, président du CSA - © C.Voulgaropoulos
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